La vue est unique

La vue, comme la vie, est unique et précieuse

Après avoir perdu la vue pendant une semaine, subi de graves brûlures et enduré un traumatisme suite à un grave accident, Stéphane Weilenmann est resté trois semaines à l’hôpital. Il a, malgré tout, eu beaucoup de chance dans son malheur.

Que s’est-il passé le 1er mai 1989 ?

Weilenmann: C’était le jour de la fête du travail, une excellente journée pour pouvoir travailler calmement. Nous avions décidé de travailler sous tension. J’étais jeune, plein de bonne volonté et n’avais pas l’expérience nécessaire pour comprendre réellement ce que je faisais du point de vue électrotechnique. Avec des conséquences tragiques: un court-circuit et un arc électrique.

Comment cela a-t-il pu se produire ?

Nous démontions les connexions d’un vieux tableau d’étage et ne voulions pas déconnecter entièrement l’ancienne distribution. Après avoir enlevé les fusibles du raccordement concerné, nous avons déconnecté les conducteurs sortants derrière le tableau afin de les raccorder au tableau provisoire. L’extrémité des câbles derrière le tableau nous gênait. Alors, nous avons enlevé tous les conducteurs raccordés aux bornes des fusibles. Le septième élément dans la deuxième rangée était un câble TT. Du fait que le tableau de distribution avait été câblé selon le schéma TN-C, le conducteur de protection était connecté côté entrée au séparateur PEN. Je me suis approché des bornes d’entrée avec la pince coupante pour sectionner le conducteur de protection… J’ai alors touché le conducteur de phase voisin et déclenché un puissant arc électrique d’une température de 5000 à 7000 degrés. La chaleur et la pression due à l’expansion d’air ont produit un effet comparable à une voiture s’encastrant frontalement dans un mur de béton à une vitesse de 160 km/h – directement devant mon visage.

Quelles ont été les conséquences ?

J’ai été ébloui et suis tombé de l’échelle. Plus tard, mon collègue m’a raconté que j’étais enveloppé d’une boule de feu de la tête aux pieds. J’ai toutefois eu un double coup de chance: comme je travaillais au-dessus de ma tête, mon bras recouvrait mon visage et il s’est, de plus, avéré que le court-circuit était unipolaire. Si l’air avait été ionisé et conducteur, il y aurait alors eu une explosion qui aurait dévasté tout le tableau de distribution. Évidemment, mes cheveux ont brûlé et mon avant-bras droit tenant la pince coupante était carbonisé. Je ne portais aucun équipement de protection et j’ai subi des brûlures au troisième degré : des fragments de peau pendaient, laissant apparaître la chair à nu – une vision d’horreur.

Qu’avez-vous pensé en ce moment ?

J’étais bien sûr sous le choc, mais j’avais compris que j’avais provoqué un court-circuit. Mes yeux me faisaient mal. Je me suis précipité au lavabo pour mettre mon bras sous l’eau froide pendant une bonne demi-heure. Ce qui a d’ailleurs permis aux blessures de bien cicatriser par la suite. Mon bras et ma main n’étaient vraiment pas beaux à voir – ma montre était encastrée dans la peau et les aiguilles sortaient de la chair. En arrivant à l’hôpital, les douleurs étaient telles que j’ai perdu connaissance.

Comment se sont déroulés les jours suivants ?

J’ai été touché aux yeux et je ne voyais plus rien. Après trois jours, une personne de la Suva m’a rendu visite à l’hôpital afin d’élucider les causes de l’accident. Je ne l’ai même pas reconnu. J’avais déjà passé des mauvaises nuits, mais quand elle m’a dit que je risquais de devenir aveugle si la rétine se détachait… j’ai vécu les pires moments de ma vie. Heureusement, les brûlures, elles, ne m’avaient pas atteint mentalement.

Quand avez-vous retrouvé la vue et combien de temps êtes-vous resté à l’hôpital ?

Après une semaine, environ, j’ai commencé à revoir. Mais je suis, à ce jour, encore sensible à la lumière. Le temps nous dira si d’autres effets suivront. Je me prépare et protège mes yeux de manière plus consciencieuse. Après trois semaines, j’ai pu quitter l’hôpital et suis entré à l’école de recrues. Mon absence au travail était, ainsi, moins longue. Après le service militaire, j’ai recommencé à travailler avec beaucoup d’humilité et de respect. Je m’étais même posé la question de changer de métier. J’ai finalement trouvé que mon expérience pouvait aussi avoir un sens positif, notamment le fait de savoir dire ‘stop’. Il faut savoir dire ‘stop’ dès que la mission n’est pas claire, les mesures de sécurité pas respectées ou que le travail peut également se faire hors tension.

Vous n’avez pas osé dire ‘stop’ ?

Cela n’aurait pas été un problème et je peux me reprocher de ne pas avoir eu le courage d’arrêter l’intervention. C’était incontestablement trop dangereux… mais je l’ignorais. Il y avait des équipements de protection mais je ne les portais pas. Nous aurions pu déconnecter les câbles derrière et ainsi être protégés. Il y avait même un mode d’emploi, mais nous avons préféré prendre des raccourcis. C’est bien l’ambition de terminer notre travail à quatre heures qui avait pris le dessus. C’était vraiment insensé. En fait, mon supérieur aurait dû intervenir et faire respecter les règles de sécurité – ce qui lui avait d’ailleurs été reproché. Un reproche qu’il m’a retourné en me disant que j’aurais dû simplement arrêter. Il avait raison et je n’ai jamais cessé d’avoir des remords.

Avez-vous pu surmonter l’accident ?

J’arrive à gérer la situation sereinement. Je me suis penché sans concession sur mes erreurs et les reproches qui m’ont été adressés. Toutefois, bien des années plus tard, lors d’une formation continue de l’ESTI, j’ai assisté à une démonstration de court-circuit dans un laboratoire. Je me trouvais assis à 20 mètres de l’événement. J’ai alors ressenti la chaleur intense de la boule de feu et cela m’a tout de suite mis mal à l’aise: mon accident me revenait à l’esprit; une expérience pour le moins particulière.

Si vous pouviez donner un seul conseil à un collègue de 20 ans, quel serait-il ?

Si tu n’es pas sûr, dit stop. Si le chef rouspète, il est certainement préférable de ne plus travailler avec lui. La vue, comme la vie, est unique et précieuse.

 

Cinq règles de sécurité pour les travaux hors tension
  • Couper
  • Condamner
  • Vérifier
  • Mettre à la terre et en court-circuit
  • Délimiter
+ Cinq règles vitales
  • Exiger des mandats précis
  • Employer du personnel qualifié
  • Utiliser des équipements sûrs
  • Porter des équipements de protection
  • Contrôler l‘installation avant la mise en service