Dimensionnement des conducteurs polaires

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Voilà 21 ans, une petite bombe faisait voler en éclats la manière de dimensionner les conducteurs polaires dans les installations électriques : Alors que les PIE imposaient une manière très rigide et très facile de déterminer la section des conducteurs selon l’intensité du coupe-surintensité placé en amont, la NIBT a ouvert le dimensionnement à une réflexion plus avant-gardiste : celle de déterminer la section en fonction de la température limite de l’isolation des conducteurs. 

Dans cet article, nous n’approcherons que le dimensionnement des conducteurs polaires de circuits triphasés équilibrés, laissant pour une prochaine fois le dimensionnement des conducteurs neutre, PEN, PE, terre ou des polaires de circuits déséquilibrés.
L’isolation des fils ou des câbles garde ses propriétés isolantes sans problème jusqu’à une température limite qui peut être maintenue durant une longue période. Par exemple 70 °C pour le PVC, 90 °C pour le VPR  et l’EPR, ou encore 105 °C au minimum pour des isolations minérales. En cas de doute, ou de manque d’informations, c’est le fabricant qui indiquera la température de service maximale admissibleI. Le dépassement de ces températures est admis, mais uniquement pour une courte durée. Le temps sera d’autant plus court que la température atteinte est élevée. Un câble isolé au PVC, soit un câble Tdc, peut rester à 80 °C durant une heure au maximum.
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Toutefois, pour ce même câble, une température de 150°C ne doit en aucun cas être dépasséeII.
Tous les choix de section des conducteurs dépendent donc de la nature de l’isolation et des déperditions thermiques qui doivent compenser l’effet Joule de façon à garantir une température stabilisée non préjudiciable.
Pour cette raison un conducteur de protection qui n’est, en service normal, traversé par aucun courant ou juste quelques petits courants de fuites dus aux effets capacitifs des lignes, peut avoir une section qui n’a aucun rapport avec celle des conducteurs polaires qu’il accompagneIII.
Les différents facteurs qui vont influencer la température des conducteurs  sont :

a) l’intensité du courant électrique qui traverse le conducteur
b) la température ambiante du local
c) les modes de poses de la canalisation.

a) L’intensité de courant électrique

Tout courant traversant une résistance électrique produit de l’énergie thermique par effet Joule selon la relation

W = R*I2*t

Plus la valeur du courant est importante, plus grande sera l’énergie produite. Il en va de même avec la durée d’utilisation. Le câble, comme tous les corps qui reçoivent de l’énergie thermique, voit sa température augmenter. Cette augmentation n’est pas infinie, car le câble chauffé aura des échanges thermiques avec son environnement – souvent l’air ambiant – proportionnels à l’écart de température. Lorsque les apports thermiques sont  totalement compensés par les déperditions, la température du câble se stabilise. C’est cette température (70 °C pour du PVC) qui ne doit pas être dépassée, sauf si c’est durant une courte période.
Dans le cadre du choix de la section des fils, un élément essentiel con-​
siste à déterminer le courant qui passe dans le câble.  C’est assez simple, car il n’y a que deux cas de figure qui se présentent.
Dans le premier cas, le courant n’est pas connu, comme c’est le cas chaque fois que l’on installe une prise, car l’utilisateur pourrait facilement soutirer trop de puissance en utilisant des prises multiples. Dans cette situation, on doit admettre un risque de surcharge. On admettra aussi que l‘intensité de référence pour le choix de la section sera celle du coupe-surintensité placé en amont de la canalisation. Cette intensité ne devra pas être supérieure à celle du courant admissible dans la canalisationIV.

Dans le second cas, très nettement le plus fréquent, le courant est connu et il n’y a aucun risque de surcharge,  soit parce que le fonctionnement des appareils ne le permet pas (chauffe-eau, cuisinière, radiateur, etc.)VI, soit parce que l’appareil est équipé d’un dispositif de protection contre les surcharges intégré (lave-linge, séchoir, etc.) ou installé sur le parcours de la ligne d’alimentation (relais thermique de moteur). L’intensité du coupe-circuit doit toujours être supérieure ou égale à celle de l’appareil, mais le courant admissible du conducteur peut être plus petit que celui du coupe-surintensité.

our déterminer au mieux le courant admissible dans les conducteurs en fonction de la nature de l’isolation et des méthodes de référence, il est préférable d’utiliser les tableaux NIBT 5.2.3.1.1.11.1 à 12.
Nos installations sont généralement prévues pour du triphasé équilibré. Il y a alors trois conducteurs parcourus par la même intensité de courant.
Il peut cependant arriver d’avoir une ligne monophasée. Dans ce cas, la canalisation est parcourue par deux courants de même valeur. Aussi la production thermique du câble sera moins grande que s’il y avait trois conducteurs. La conséquence est une augmentation du courant admissible à section égale et mode de pose équivalent. On peut aussi avoir du triphasé avec quatre conducteurs parcourus par des courants (circuit étoile déséquilibré ou présence d’harmoniques). Ceci engendrera, à puissance transportée égale, une augmentation de la section. Ce cas n’est pas traité ici.

b) La température ambiante du local

Le rôle de la température ambiante est très important dans le choix de la section des conducteurs car plus elle est élevée, plus vite le conducteur sera à la température limite. En effet, il faut peu d’élévation de température pour atteindre la valeur limite. À quantité d’énergie égale, on atteint plus vite 70 °C à partir d‘une température initiale de 50 °C qu‘à partir de 30 °C. D‘autre part, les déperditions sont proportionnelles à l‘écart de température : De 30 à 70 °C l‘écart est de 40 °C alors qu‘il n‘est que de 20 °C entre 50 et 70 °C. Les échanges de chaleur sont donc plus faibles si l‘air est chaud et la température du câble augmentera davantage.
Le graphique ci-dessous met en évidence le rôle de la température ambiante sur l’échauffement des conducteurs. Il s’agit d’un câble
Tdc 5*4 mm2 posé à différentes températures ambiantes en méthode de référence C.

On voit que si le local est à 60 °C, il suffit d’un courant de seulement 16 A pour amener la canalisation à 70 °C, alors qu’un courant de 32 A serait nécessaire si ce câble était posé dans un local à 30 °C. Si la température n’est que de 20 °C alors, le courant admissible dans la canalisation,
qui évitera  au câble de dépasser la température limite – est de 36 A.

La température ambiante de référence pour le dimensionnement des canalisations est de 30 °C, excepté :
1.  Les canalisations enterrées. Dans ce cas la référence est de 20 °C.
2. Les ensembles d‘appareillages. Dans ce cas, on peut parfois être amené à prendre 40 °CVIII comme température ambiante.

Le correction du courant admissible se fera conformément aux tableaux NIBT 5.2.3.1.1.12.1 E+C.

Attention, la valeur réelle du courant reste de 27 A, il n’y a donc pas lieu de changer l’intensité assignée du coupe-surintensité ou de l’interrupteur. Les valeurs calculées (24 A et 38 A) ne sont que des équivalences de courant qui, à 30 °C, produiraient le même échauffement.
Très souvent l’installateur, dans un but de simplification, ne tient pas compte des températures ambiantes lorsqu’elles sont inférieures à 30 °C, ce qui ne pose aucun problème puisque la ligne sera éventuellement un peu surdimensionnée. Toutefois, en cas de température ambiante plus élevée, il est impératif de vérifier que la section est compatible avec l’échauffement admissible des conducteurs.
c) Les modes de poses de la canalisation

Le courant dans les conducteurs joue un rôle dans la production de chaleur et la température  agit sur les déperditions. Les modes de pose sont importants car ils modifient la conductivité thermique. Plus elle sera bonne, plus le câble supportera de courant sans dépasser la température maximum de son isolant.
La norme européenne comptabilise beaucoup de modes de pose des canalisations électriques, la NIBT en a repris environ huitante (quatre-vingt)IX. Chaque mode de pose aura une spécificité de conductivité unique.
Travailler avec chacun de ces modes de pose serait contre-productif car les différences sont souvent infimes, alors que dans les installations existantes les facteurs qui influencent la température finale du câble sont relativement  nombreux (la température ambiante n’est pas stable durant la journée, les matières utilisées pour les conduits, etc.). Afin de simplifier la recherche du courant maximum admissible, les modes de pose ont été regroupés en plusieurs méthodes de référence X pour lesquelles les échanges de chaleur sont relativement proches. Comme il est question de sécurité, les choix sont toujours faits dans le sens de diminuer le danger.
On peut donc en déduire que souvent le courant admissible pourrait être un peu plus élevé de ce que prévoient les tableaux des courants admissibles de la NIBT. Par exemple, un câble dans un tube TIT monté en apparent sur du bois aura moins de chaleur évacuée – à courant égal – que cette ligne posée sur une cloison en béton.
La différence étant toutefois négligeable tous deux sont dans la même méthode de référence B2. Par contre, si ce câble est posé seul dans un chemin de câble non-perforé, alors les échanges thermiques seront nettement plus important, il y a modification de la méthode de référence (C dans ce cas).
Le graphique ci-dessous montre la variation du courant admissible en fonction de la méthode de référence.

Les méthodes de référence A1 et A2 regroupent des poses de canalisations enrobées dans des isolants thermiques (laine de verre, polystyrène, liège, bois plein, etc.).
Les méthodes de référence B1 ou B2 concernent la pose sous tube en apparent sur du bois ou d’autres matériaux ainsi que la pose encastrée dans de la maçonnerie (béton, plâtre, briques, etc..).
La méthode C est principalement réservée pour des chemins de câbles non-perforés ou des poses de câbles apparentes ou noyées sans tube dans de la maçonnerie.
Les autres méthodes de référence sont décrites dans la NIBT 5.2.3.1.1.7 E+C

Comme il a été dit plus haut, l’échauffement dépend directement du nombre de fils actifs dans la canalisation. Dans le même ordre d‘idée, le regroupement de plusieurs câbles dans le même canal, le même chemin de câble, etc., augmente aussi la production de chaleur. Le regroupement des canalisations (nombre de câbles dans la même conduite) est donc à ne pas négliger. Il faudra évaluer également les probabilités que les câbles soient chargés simultanément ou non, qu’ils soient chargés à 100 % ou pas (ce n’est pas parce qu’on protège une ligne avec un coupe-surintensité de 25 A, par exemple, que la ligne est traversée par 25 A). La NIBT propose plusieurs tableaux qui nous permettent de trouver des facteurs de correction, connus sous les noms de kG, KH et kGH,
en fonction de différentes situations. Il est prévu que l’électricien qui peut calculer son propre coefficient puisse l’utiliser même s‘il diffère de  celui de la norme. Le travail du contrôleur dans ce cas semble très compliqué, mais c’est oublier qu’il lui suffit de vérifier la température des câbles une fois l’installation en service.

Dans le groupement de câbles, on comptabilise uniquement les câbles qui sont chargés à plus de 30 %XI.
Si l’on est amené à ajouter un câble dans un groupement existant, il est prévu que seul le nouveau câble soit dimensionné selon le nouveau nombre total de câbles participant au groupement.

En pratique

Il n’est pas rare qu’une canalisation passe dans des locaux de températures différentes, que l’installateur utilise différentes méthodes de référence pour poser son câble. Théoriquement, il est possible de changer de section sans remettre de coupe-surintensité à chaque fois que ce serait éventuellement utile. Toutefois, ce n’est pas une manière de faire économiquement rentable. On choisira donc pour l’ensemble de la canalisation la section la plus grande,  pour autant que cela ne soit pas pour un tronçon de moins de vingt centimètres en méthode de référence A1 ou A2 (attention lors de traversées de dalles obturées par des produits coupe-feu) ou de moins d’un mètre pour les autres situations.

Sections minimum
La NIBT a prévu des sections minimum de 6 mm² pour toutes les canalisations entre le coupe-surintensité général (coffret d’introduction) et les coupe-circuit avant-compteurXII.

En résumé
Pour trouver la section minimum d’une canalisation il faut :

  • connaître l’intensité maximum du courant ;
  • connaître le nombre de conducteurs actifs (monophasé, triphasé avec ou sans courant dans le neutre) ;
  • connaître la nature de l’isolation du câble ou des fils ;
  • appliquer les facteurs de correction en fonction de la  température dans les différents locaux traversés, en général on prend seulement le local le plus chaud ;
  • appliquer les facteurs de groupement et de simultanéité si nécessaire ;
  • trouver la section dans un des tableaux de la NIBT 5.2.3.1.1.11.1 E+C et suivants.

Ce n’est pas fini…
C‘est bien de trouver la section la plus petite, la moins chère, la plus facile à travailler, mais ce n’est pas suffisant. Il faudra s’assurer à la fin des travaux que l’installation reste conforme en contrôlant :

    • Le temps de déclenchement en cas de court-circuit pour la protection des personnes
    • Le temps de déclenchement en cas de court-circuit pour la protection du câble
    • La chute de tension maximale

Dans l’industrie, il est certainement nécessaire de prévoir des extensions futures ou de pratiquer le « dimensionnement économique » qui consiste à surdimentionner certaines lignes pour diminuer les frais engendrés par les pertes en ligne.

En conclusion
La façon de choisir les sections des fils semble longue et compliquée. En pratique, on reste souvent à 30 °C de température et le dimensionnement de lignes se fait en utilisant des circuits à trois conducteurs chargés. Ceci nous  permet d’utiliser le tableau suivant pour des fils de cuivre isolés au PVC (Tdc) :

En bleu: setions normalisées en mm2
En vert: méthodes de référence les plus fréquents
En rouge: courant maximum admissible

Beaucoup d’installateurs (et même des contrôleurs !), par mesure de simplification, appliquent encore ce qui se pratiquait au siècle passé, soit les PIE. C’est une façon de faire qui est juste dans probablement plus de 95 % des cas car ce n’est pas grave de tirer des sections plus grandes que le minimum. Toutefois, il faudra ne pas oublier d’utiliser la NIBT pour les 5 % des installations où ces sections sont interdites car trop petites, par exemple lorsque la température ambiante est plus élevée (dans un tableau de distribution dans l’industrie, dans une chaufferie, des locaux de séchage, etc..) ou le plus souvent quand il y a des groupements dans des canaux ou des chemins de câbles.

Normes citées:

I    NIBT 5.2.3.1.1.4
II    NIBT Tab. 5.2.1.2.3.4 E+C
III     NIBT 5.4.3.1.2
IV     NIBT 4.3.3
V     NIBT 5.2.3.1.1.11.3 E+C col. 4
VI    NIBT 4.3.3.3.2 E+C
VII    NIBT 5.2.3.1.1.11.3 E+C col. 4
VIII    NIBT Tab. 5.3.9.8.7.1.1.2 E+C
IX    NIBT 5.2.3.1.1.10 E+C
X    NIBT 5.2.3.1.1.9 E+C
XI    NIBT 5.2.3.1.1.8.4 E+C
XII    NIBT Tab. 5.2.4.3

 

Texte rédigé par

Denis Schneider

CPMB, Colombier