Courant réactif

Nous avons pu lire dans le dernier numéro d’Electromagazine, les causes et effets néfastes de la puissance réactive, dans une installation de distribution électrique d’importance.

Le sujet de cet article est donc de définir les différentes solutions correctives possibles à mettre en place afin de réduire les pertes énergétiques et ainsi réaliser des économies d’exploitation.

L’énergie réactive

Rappel

L’énergie électrique est essentiellement distribuée aux utilisateurs sous forme de cou-rant alternatif par des réseaux en haute, moyenne et basse tension.

L’énergie consommée est composée d’une partie “active”, transformée en chaleur ou mouvement, et d’une partie “réactive” transformée par les actionneurs électriques pour créer leurs propres champs électromagnétiques.

L’utilisateur ne bénéficie que de l’apport énergétique de la partie “active” ; la partie “réactive” ne peut pas être éliminée, mais doit être compensée par des dispositifs appropriés. L’énergie totale soutirée au réseau de distribution sera ainsi globalement réduite.

Les économies d’énergie réalisées se chiffrent par dizaines de pour cent de la consommation globale, situant les procédés de compensation d’énergie réactive en pre-mière ligne du combat pour la réduction de l’impact des activités humaines sur l’écosystème de notre planète.

Le triangle des puissances

Toute machine électrique utilisant le courant alternatif (moteur, transformateur) met en jeu deux formes d’énergie : l’énergie active et l’énergie réactive.

L’énergie active consommée (kWh) résulte de la puissance active P(kW) des récepteurs.

Elle se transforme intégralement

– en puissance mécanique (travail) et

– en chaleur (pertes).

L’énergie réactive consommée (kvarh) sert essentiellement à l’alimentation des circuits magnétiques des machines électriques.

Elle correspond à la puissance réactive Q(kvar) des récepteurs.

L’énergie apparente (kVAh) est la somme vectorielle des deux énergies précédentes, elle correspond à la puissance apparente S(kVA) des récepteurs, somme vectorielle de P(kW) et Q(kvar).

Pour mieux comprendre, j’aime utiliser l’exemple du verre de bière qui est plus explicite 🙂

Le diagramme suivant établi les différentes puissances expliquées par la figure précédente (verre de bière) mais cette fois-ci de façon plus empirique.

Les formules qui y sont liées :

  • la puissance apparente : S = UI (kVA),
  • la puissance active : P = UI.cosφ (kW),
  • la puissance réactive : Q = UI.sinφ (kvar).

Et bien entendu, à chaque puissance correspond un courant, Le courant actif (Ia) est en phase avec la tension du réseau. Le courant réactif (Ir) est déphasé de 90° par rapport au courant actif, soit en retard (récepteur inductif), soit en avance (récepteur capacitif).

Le courant apparent (It) est le courant résultant qui parcourt la ligne depuis la source jusqu’au récepteur.

Si les courants sont parfaitement sinusoïdaux, on peut utiliser la représentation de Fresnel.

Ces courants se composent alors vectoriellement comme représenté par la figure suivante.

It = √la2 + Ir 2

la = I.cosφ

Ir = I.sinφ

Quelques valeurs approximatives de cos φ des principaux actionneurs consommateurs d’énergie réactive :

  • moteur asynchrone à 100 % de charge : cos φ = 0,85
  • moteur asynchrone à 50 % de charge : cos φ = 0,73
  • lampes à fluorescence : cos φ = 0,5
  • chauffage par induction : cos φ = 0,5

Ces quelques exemples montrent l’impact énorme de la partie réactive de la consommation énergétique des actionneurs qui comportent des circuits magnétiques : y remédier est une des problématiques de base de tout concepteur et installateur de produits et équipements électriques.

La circulation de l’énergie réactive a des incidences techniques et économiques importantes.

En effet, pour une même puissance active P, la figure suivante montre qu’il faut four-nir d’autant plus de puissance apparente, et donc de courant, que la puissance réactive est importante.

Ainsi, du fait d’un courant appelé plus important, la circulation de l’énergie réactive sur les réseaux de distribution entraîne :

  • des surcharges au niveau des transformateurs,
  • l’échauffement des câbles d’alimentation,
  • des pertes supplémentaires,
  • des chutes de tension importantes.

Pour résumer et vous l’aurez compris, le but est de compenser cette puissance réactive afin que le cos φ tende au plus proche de la valeur de 1.

Le facteur de puissance

Par définition le facteur de puissance – autrement dit le Cos ø d’un appareil électrique – est égal au rapport de la puissance active P (KW) sur la puissance apparente S (kVA) et peut varier de 0 à 1.

cosφ

=

P (KW)

S (kVA)

Il permet ainsi d’identifier facilement les appareils plus ou moins consommateurs d’énergie réactive.

  • Un facteur de puissance égal à 1 ne conduira à aucune consommation d’énergie réactive (résistance).
  • Un facteur de puissance inférieur à 1 conduira à une consommation d’énergie réactive d’autant plus importante qu’il se rapproche de 0 (inductance).

Dans une installation électrique, le facteur de puissance pourra être différent d’un atelier à un autre selon les appareils installés et la manière dont ils sont utilisés (fonctionnement à vide, pleine charge…).

Les appareils de comptage d’énergie enregistrent les consommations d’énergie active et réactive. Les fournisseurs d’électricité font généralement apparaître le terme tg ø au niveau de leur facture.

tgφ

=

Q (kVArh)

P (kWH)

La tg ø est le quotient entre l’énergie réactive Q (kVArh) et l’énergie active P (kWh) consommées pendant la même période.

À l’inverse du cos ø, on s’aperçoit facilement que la valeur de la tg ø doit être la plus petite possible afin d’avoir le minimum de consommation d’énergie réactive.

Cos ø et tg ø sont liés par la relation suivante :

cosφ

=

1

Compenser l’énergie Réactive

Pour les raisons évoquées ci-dessus, il est nécessaire de produire l’énergie réactive au plus près possible des charges, pour éviter qu’elle ne soit appelée sur le réseau. C’est ce qu’on appelle “compensation de l’énergie réactive”.

Pour inciter à cela et éviter de surdimensionner son réseau, le distributeur d’énergie pénalise financièrement les consommateurs d’énergie réactive au-delà d’un certain seuil.

On utilise des condensateurs pour fournir l’énergie réactive aux récepteurs inductifs.

Pour réduire la puissance apparente absorbée au réseau (voir fig.4) de la valeur S2 à la valeur S1, on doit connecter une batterie de condensateurs fournissant l’énergie réactive Q2.

L’intérêt économique de la compensation est mesuré en comparant le coût d’installation des batteries de condensateurs aux économies qu’elle procure.

Le coût des batteries de condensateurs dépend de plusieurs paramètres dont :

  • la puissance installée,
  • le niveau de tension,
  • le fractionnement en gradins,
  • le mode de commande,
  • le niveau d’efficacité

La localisation

La localisation de l’installation des batteries de compensation est un choix technico-économique stratégique en fonction du type de puissance réactive présente et de l’architecture du réseau électrique.

Compensation globale : la batterie est raccordée en tête d’installation et assure la compensation pour l’ensemble des charges. Elle convient lorsque l’on cherche essentiellement à supprimer les pénalités et soulager le poste de transformation.

Compensation locale ou par secteurs : la batterie est installée en tête du secteur d’installation à compenser. Elle convient lorsque l’installation est étendue et comporte des ateliers dont les régimes de charge sont différents.

Compensation individuelle : la batterie est raccordée directement aux bornes de chaque récepteur inductif (moteur en particulier). Elle est à envisager lorsque la puissance du moteur est importante par rapport à la puissance souscrite. Cette compensation est techniquement idéale puisqu’elle produit l’énergie réactive à l’endroit même où elle est consommée, et en quantité ajustée à la demande.

Le type de compensation

Compensation fixe : on met en service l’ensemble de la batterie dans un fonctionne-ment “tout ou rien”.

La mise en service peut être manuelle (par disjoncteur ou interrupteur), semi-automatique (par contacteur), asservie aux bornes des moteurs.

Ce type de compensation est utilisé lorsque la puissance réactive est faible (< 15 % de la puissance du transformateur) et la charge relativement stable.

Compensation automatique ou en «gradins» : la batterie de condensateurs est fractionnée en gradins, avec possibilité de mettre en service plus ou moins de gradins, en général de façon automatique.

Ce type de batterie est installé en tête de la distribution BT ou d’un secteur important. Cela permet une régulation pas à pas de l’énergie réactive. L’enclenchement et le déclenchement des gradins sont pilotés par un relais varmétrique.

Dimensionner la compensation

Pour calculer la puissance nécessaire d’une batterie de compensation, il existe plusieurs méthodes :

Par la mesure : En effet, cette solution est la plus précise et la plus efficace en terme de dimensionnement et donc d’efficacité car comme nous le verrons au chapitre suivant, plus la compensation est près des appareils pollueurs, plus la solution est efficace.

Exemple :

Puissance mesurée : 400 KW

Tension : 400 V TRI 50 HZ,

P = 475 KWh,

Cos ø souhaité = 0,955 (tg ø = 0,31)

Cos ø mesuré = 0,75 (soit tg ø = 0,88)

Qc = 475 x (0.88 – 0,31) = 270 KVAr

Par la facture d’électricité : cette méthode convient bien entendu pour une compensation globale :

  1. Retenir le mois où la facturation est la plus importante (kVArh à facturer)
  2. Évaluer le nombre d’heures mensuel de fonctionnement de l’installation
  3. Calculer la puissance condensateur Qc à installer

Qc

=

kVArh à facturer (mensuel)

Nombre d’heures fonctionnement (mensuel)

Exemple :

Facturation énergie réactive la plus importante :mois de décembre

Puissance réactive : 70 000 kVArh

Horaires de fonctionnement mensuel :heures pleines + pointes = 350 heures

Qc = 70 000 / 350 = 250 KVAr

Pour une nouvelle installation : Lors de l’étude d’une installation, il est toujours important de dimensionner la / les batteries de compensation afin de prévoir les protections, l’emplacement ainsi que le budget nécessaire.

Dans ce cas, il est conseillé d’installer une batterie de condensateur égale à environ 25 % de la puissance nominale du transformateur HT/BT correspondant.

Exemple :

Transformateur 1000 kVA

Charge réelle du transformateur = 75 %

Cos ø de la charge = 0,80

k = 0,421 (voir tableau à la fin de l’article)

Cos ø à obtenir = 0,95

Qc = 1000 x 0,75 x 0.80 x 0.421 = 250 KVAr

Compensation & Harmoniques

Nous l’avons vu dans plusieurs articles d’Electromagazine, les équipements faisant appel à l’électronique de puissance (variateurs de vitesse, redresseurs, onduleurs, etc), de plus en plus utilisés, sont responsables de la circulation de courants harmoniques dans les réseaux.

Ces harmoniques perturbent le fonctionnement de nombreux dispositifs. En particulier, les condensateurs qui y sont extrêmement sensibles, du fait que leur impédance décroît proportionnellement au rang des harmoniques présents.

Dans certaines circonstances, des phénomènes de résonance peuvent se produire entraînant une forte distorsion de tension et la surcharge des condensateurs.

Selon la puissance des générateurs d’harmoniques présents, différents types de condensateurs doivent être choisis, associés éventuellement à des inductances.

Pour les valeurs élevées de puissance des générateurs d’harmoniques, le traitement des harmoniques est en général nécessaire.

Le dispositif approprié (filtre d’harmonique) remplit à la fois les fonctions de compensation d’énergie réactive et de filtrage des harmoniques.

Le phénomène de Résonance

Le phénomène de résonance est à l’origine des plus importantes distorsions harmoniques dans les réseaux de distribution et la cause majeure de surcharges des condensateurs de compensation.

Les phénomènes décrits ci-dessous sont du type « résonance parallèle ».

Considérons le schéma simplifié suivant, représentant une installation comprenant :

  • transformateur d’alimentation
  • des charges linéaires
  • des charges non linéaires génératrices de courants harmoniques,
  • des condensateurs de compensation.

Le raccordement de condensateurs de compensation (sans inductance) va provoquer l’amplification des courants harmoniques au niveau du jeu de barres, et une augmentation de la distorsion de tension.

Les condensateurs sont des dispositifs réactifs linéaires, et par conséquent ne génèrent pas d’harmoniques. L’installation de condensateurs dans un système d’alimentation (dans lequel les impédances sont essentiellement inductives) peut, cependant, entraîner une résonance totale ou partielle se produisant à l’une des fréquences harmoniques.

En raison des harmoniques, le courant IC circulant dans les condensateurs de compensation sera plus élevé par rapport à la situation où seul le courant I1 fondamental est présent.

Si la fréquence propre de l’ensemble (condensateurs – réactance du réseau d’alimentation) est proche d’un rang harmonique particulier, alors une résonance partielle va se produire, avec des valeurs de tension et de courant amplifiées à la fréquence harmonique concernée I har. Dans ce cas particulier, le courant élevé provoque une surchauffe des condensateurs, avec dégradation du diélectrique, ce qui peut entraîner sa destruction éventuelle.

L’ordre h0 de la fréquence propre de résonance entre la réactance du système et la batterie de condensateur est donné par la formule :

Avec :

SSC = puissance de court-circuit du réseau (kVA) au point de raccordement des condensateurs

Q = puissance des condensateurs en kvar

h0 = ordre de la fréquence propre f0 , i.e. f0 / 50 pour un système 50 Hz, ou f0 / 60 pour un système 60 Hz.

Comme un bon exemple vaut mieux qu’un long discours :

Puissance nominale du transformateur : S = 630kVA

Tension de court-circuit : Usc = 6%

Puissance de court-circuit au niveau du jeu de barres : SSC ~ 10 MVA

Puissance réactive des condensateurs : Q = 350 kvar

Alors :

La fréquence propre de résonance du système (condensateurs – réactance réseau) est proche du rang harmonique 5.

Pour un réseau 50Hz, la fréquence propre f0 est alors égale à

f0 = 50 x h0 = 50 x 5,5 = 275 Hz.

En conclusion

En conclusion, la compensation de l’énergie réactive est une des principale mission de l’ingénieur et de l’installateur électricien car c’est le premier point d’économie d’énergie à dimensionner et prévoir.

D’autre part et je l’ai bien trop souvent observé lors de ma carrière, le phénomène de résonnance n’est pas du tout pris en compte et d’important dégâts humains et matériels peuvent être induits lors de l’explosion d’un ensemble de compensation.

Texte rédigé par:

Michael Margot

Ingénieur Consultant
margot.engineering@gmail.com

Références :

IEC 60871-1, IEC 60831-1/2, Schneider E / Legrand